
Jonathan Blow, le créateur de Braid, est derrière The Witness ; un jeu de réflexion et d’aventure développé et publié par Thekla, Inc. Cette nouvelle œuvre du Game designer américain date du 26 janvier 2016 et résulte de 8 ans de développement par une équipe d’une dizaine de personnes. Initialement vendu 37€, The Witness était proposé gratuitement dans l’offre de Play at home sur l’e-store des consoles PlayStation. La question est donc de savoir si la rom doit rester enfouie dans les limbes de votre backlog ou être mise en haut de la pile des priorités de l’année… et bah c’est pas si simple !
Petit disclaimer concernant la présentation et le test en général qui seront succincts ou volontairement évasifs sur certains points pour laisser la surprise, la découverte étant l’un des grands plaisirs de cette aventure. Si vous ne souhaitez absolument rien connaitre avant de vous y plonger, vous pouvez quitter cette page, télécharger The Witness et aller lire une bonne petite news de Burgtasty en attendant l’installation. Les autres peuvent pousser tous les potards de leur cerveau à fonds et lire la suite !
Tomber dans le panneau
Nous incarnons une personne en vue subjective qui s’extirpe d’un bunker perdu sur une ile. L’unique tutoriel du jeu permet d’ouvrir la porte de notre terrier via un panneau. On apprend ici la base des 500 énigmes du jeu : cliquer sur un rond pour faire apparaitre un faisceau lumineux et glisser ce dernier au bout de son chemin. Nous pouvons explorer librement sur toute l’ile et découvrir les puzzles et mystères qu’elle recèle.
L’ile se compose d’une bonne douzaine de biomes et chacune d’elle présente et pousse à fond un concept ou une règle à intégrer dans les puzzles. Un exemple simple, certains panneaux nous demandent de séparer ou réunir des formes tout en prenant en compte des règles qu’on a apprises et qui s’imbriquent au fil de l’aventure. Les puzzles sont variés, sollicitent plusieurs de nos sens et nous apprennent à prendre du recul sur un problème. C’est parfois très ingénieux et le jeu arrive à créer des moments magiques comme par exemple lorsque l’on comprend par soi même que la réussite d’un tableau tient à l’observation de l’environnement. Franchement, l’équipe a fait preuve de génie pour toujours renouveler la proposition et maintenir notre plaisir de jeu surtout que la base du gameplay est toujours exactement la même, très basique voire austère. Au fur et à mesure, les énigmes deviennent évidemment plus complexes avec des changements de perspective, des puzzles plus grands et des mécaniques qui s’ajoutent au schmilblick. Mais ce que j’ai adoré c’est qu’on est plus souvent bloqué par la méconnaissance d’un concept que par la réalisation de l’énigme en elle-même.
La particularité qui fait tout le sel de l’expérience est que The Witness ne propose pas le moindre tutoriel une fois le bunker laissé derrière soi. La première ballade sur l’île est particulière car on est vite heurté à l’incompréhension des panneaux croisés. Alors c’est sûr, une partie du public pas prête à cela lâchera définitivement la manette ici, après avoir au moins pris le temps de contempler quelques panoramas. Être bloqué fait partie de l’expérience. Si une règle est inconnue, il suffit d’aller se balader dans une autre zone. À un moment, on fait des liens avec des notions apprises ailleurs et tout devient plus simple. Mais il est vrai que l’apprentissage est particulier car il y a même parfois cette sensation aussi peu agréable qu’unique du «alors j’ai réussi mais je ne pense pas avoir compris ce qu’on m’a demandé de faire… et il va falloir que je valide les acquis car les prochains puzzles vont me tester». Alors oui, parfois la solution est tirée par les cheveux inutilement et agace fortement. Il m’est arrivé de réussir un tableau après m’être positionné dans un angle improbable, permettant à peine de voir le puzzle et de me dire «personne ne trouvera, c’est impossible». Heureusement, cela n’est pas récurrent et ces quelques faux pas sont vite pardonnés devant tous les systèmes géniaux. Au final, bien que le challenge soit par moment bien présent, The Witness n’est pas interminable pour le commun des mortels comme un «baba is you». D’ailleurs, une fois fini, tout le monde peut refaire le jeu en 3 fois moins de temps. Je voudrais juste évoquer la fin qui est assez grandiose en termes d’énigmes avec des épreuves mélangeant l’intégralité de tous les codes qu’on a appris. Pour le coup, il n’y a plus de chemins alternatifs et il faut vraiment réfléchir et s’impliquer pour voir la conclusion. Enfin, les couleurs et le son ont une grande importance dans la réalisation de certains types de puzzle. Ainsi le jeu est globalement inaccessible aux daltoniens et malentendants. L’équipe de Thekla, Inc n’a pas réussi à adapter le gameplay pour tous.

Open world, open minded
Tout d’abord, ce qui frappe en se baladant c’est l’environnement chatoyant et les couleurs chaudes. La patte graphique de The Witness est magnifique et reconnaissable au premier coup d’œil. Cela participe a créer cette ambiance qui se dégage des différents lieux traversés ; tantôt apaisante, tantôt inquiétante, cet havre de paix balnéaire a finalement surtout un goût de solitude. Attention toutefois au HDR qui a tendance à rendre impossible la résolution de certaines énigmes. Je préfère le préciser car il est peu habituel de retoucher les paramètres visuels.
L’île regorge de petites choses cachées qu’on ratera la plupart du temps mais qui, une fois découvertes, nous laisse pantois. Mettre le doigt sur des effets de perspectives ou des énigmes cachées dans le décor est très satisfaisant. L’équipe de Jonathan Blow nous a gratifié d’une leçon de level design où rien n’est laissé au hasard. Très vite, on comprend que notre monde ouvert est conçu comme une petite œuvre d’art. C’est très dense, extrêmement bien construit et des sentiers discrets ne s’offriront qu’aux plus curieux. L’exploration est une part très importante de The Witness et autant dire que tous ces mystères évoquent de vieux souvenirs de The Myst. La découverte des entrailles de l’ile est la croquette qui pousse le joueur à remuer ses méninges. Un bon nombre de casse tête récompensent la réflexion par le déclenchement d’un mécanisme, l’ouverture d’une porte, la descente d’un escalier… La force de The Witness est de motiver le joueur à surpasser ses échecs pour percer tous les secrets de l’île.

Petit bémol concernant la narration inutilement pompeuse, incompréhensible et très abstraite. Il y a des discours métaphysique ou philosophiques inaccessibles et franchement sans intérêt. L’île nous raconte déjà tant sans aucun mot que la surcouche, certes discrète, était dispensable. En restant sur le thème de l’écriture, sachez que ceux qui cherchent un scénario ou un twist final pourront être déçus, le plaisir est vraiment dans le voyage.
Après 35h sur cette île de rêve et plus de 400 tableaux terminés, je comprends mieux le prix initial qui avait fait tant parler. Il est tout à fait adapté au vu de l’expérience unique et du travail accompli par une équipe si petite. En y réfléchissant, ce tarif est d’autant plus couillu que le jeu ne peut être présenté sans spoiler. Seule la beauté de l’ile peut aguicher en attendant le bouche à oreilles.
Résumé:
The Witness est ce genre de jeu qui joue avec le joueur. Il aime le voir s’émerveiller devant une perspective, s’exaspérer devant une réponse tordue, exulter de joie après un déclic puis redevenir maussade devant des panneaux incompréhensibles… Souvent brillant mais parfois prétentieux, le dernier bébé de Jonathan Blow ne plaira pas à tous les joueurs, c’est certain. Au final, c’est vraiment moins exigeant qu’au premier abord et si un petit wiki peut éviter de décrocher de l’aventure je pense qu’il doit être pris sans honte. Ici, le voyage est superbe même si la destination n’a pas le même éclat.
Bien | Pas bien |
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La conception de l’île | Inadapté aux malentendants et daltoniens notamment |
L’exploration qui récompense la réflexion | L’apprentissage ne plaira clairement pas à tout le monde |
Les mécaniques qui s’imbriquent | Écriture et scénario décevants |
Les énigmes environnementales | Quelques énigmes bien, bien tirées par les cheveux |
Des couleurs plein les yeux | |
Ces petits moments d’émerveillement |